Les rapts
Un poussin qui dépasse un peu trop de la poche incubatrice de son parent, un poussin éjecté de la poche après une chute de l’adulte, un poussin qui commence à faire ses premiers pas seul sur la banquise… Autant de situations qui peuvent conduire à un événement de « rapt ».
On est en août, les poussins ont bien grandi mais ont toujours besoin de soins parentaux et certains adultes, en échec, arpentent la colonie et tentent de voler ces poussins…
A cette période de l’année, plusieurs dizaines de rapts peuvent être observées en 1h passée à la manchotière.
Généralement, lorsqu’un manchot se jette sur un poussin pour le voler à son parent, les manchots inemployés des alentours ne tardent pas à se joindre à la mêlée, ce qui peut faire des groupes assez impressionnants de plusieurs dizaines d’individus. Le poussin peut d’ailleurs mourir écrasé par les manchots qui se battent. Parfois, le parent réussi à récupérer son poussin indemne, parfois c’est un autre qui repart avec.
Il faut savoir que dans la plupart des cas, le voleur finira par abandonner ce poussin qui n’est pas le sien… Il nous est arrivé de voir ce genre d’abandon suivi à nouveau d’un rapt, l’avenir d’un poussin kidnappé est très incertain !
On peut d’ailleurs se demander quelle est l’explication d’un tel comportement. En effet, les kidnappeurs vont dépenser de l’énergie pour élever un poussin qui ne leur est pas apparenté... En 2006, des chercheurs ont testé l’hypothèse selon laquelle ce comportement de rapt était influencé par le taux élevé de prolactine, une hormone de soin parental. Lors de cette étude expérimentale, le taux de prolactine de certains individus a été artificiellement abaissé par administration d’un inhibiteur. Ces individus traités ont effectué moins de tentatives de rapts que les non traités (Angelier et al., 2006).
La prolactine est généralement produite suite à une stimulation par le poussin, or chez le manchot empereur, le taux de prolactine n’est pas ou peu influencé par le poussin et il est maintenu élevé pendant toute la période de reproduction. Ceci serait une adaptation leur permettant de rester impliqués et d’avoir l’envie de revenir à la colonie après de longs trajets et séjours en mer (sans contact avec le poussin). Chez les individus en échec de reproduction, ce taux est également maintenu élevé, ce qui pourrait expliquer leur obstination à vouloir un poussin.
Le comportement de rapt pourrait donc être une conséquence de l’adaptation des manchots empereurs à leurs conditions de reproduction particulières et hors du commun.
L’émancipation
A l’âge de deux mois, le poussin s’émancipe thermiquement : il a assez de duvet pour rester hors des pattes de ses parents. Les poussins émancipés se regroupent pour former des crèches, au sein desquelles ils se tiennent plus ou moins serrés selon les conditions météo (+ font la sieste et se chamaillent sans cesse). Lors de mauvais temps, ils forment de véritables tortues comme leurs parents!
A partir de l'émancipation du poussin et du fait de sa demande alimentaire croissante, les deux parents s'absentent simultanément pour aller chercher de la nourriture en mer. Ils ne séjournent alors à la colonie que le temps nécessaire au nourrissage du poussin qui se fait le plus souvent à l'écart des autres oiseaux et des crèches. Le couple ne se croise alors que très rarement pendant cette période.
Dans notre colonie de Pointe Géologie, la première émancipation a eu lieu le 20 août et la première crèche observée le 29. Une semaine plus tard, il y avait déjà 1000 adultes de moins dans la manchotière.
[Photos: Stéphane Oros]